[TERMINE][Shikieiki][Yuuka] Contemplation des chrysanthèmes.

Le fleuve tranquille de la rivière Sanzu reflétait les nuances orangées du ciel, laissant apparaitre au fond de ses eaux quelques lueurs précieuses, telles des pièces d'or que l'on y aurait jetées. D'un coté et d'autre, de grandes fleurs de nénuphars ouvraient leur coueur vers l'oceéan celeste, et sur les rives les chrysanthèmes aux teintes écarlates se balançaient au rythme d'une brise légère, tout comme le mouvement ondulatoire de mon ombrelle sagement posée contre mon épaule.

- ♫

Je foulais le chemin sombre, et m'approchais prudemment de l'eau. Une vieille barque avait été laissée ici, mais elle semblait vide de tout propriétaire. Une bourse pleine a craquer semblait avoir été oubliée au fond : sans doute le butin d'un passeur de la rivière.

Saisissant avec délicatesse une chrysanthème entre mes doigts, j'en observais attentivement les reflets et la taille de ses longs pétales. Malgré l'ambiance défunte qui règne en ces lieux, les fleurs semblent en bonne santé, ici. J'esquissais un sourire de satisfaction en entendant des pas parmi les chrysanthèmes, signe qu'une autre âme que la mienne se promenait dans le coin.

J'étais en pause, encore une fois. C'était assez calme en ce moment, malgré la fainéantise affligeante de Komachi. J'étais partie en direction de Gensokyo pour enseigner à qui voulait l'entendre, comme d'habitude. Je voulus voir si la shinigami faisait son travail ou pas. Je fus surprise. Pas par le manque de présence de Komachi, mais par la fille à ombrelle qui contemplait les fleurs. Yuuka Kazami, youkai des fleurs. « Qu'est-ce qu'elle fait là ? » Elle semblait tout simplement en promenade. Elle devrait plutôt effrayer les humains, comme n'importe quel youkai... Je commençai à approcher.

- "Bonjour mademoiselle Kazami. Qu'est-ce qui vous amène si près des morts ? Vous ne comptez tout de même pas aller à Higan, n'est-ce-pas ?"

Ce lieu appartenait aux morts en attentes d'être juger. Un youkai n'avait rien à y faire. Je regardai les fleurs autour de nous.

- "Je me demande si Komachi s'occupe de ces fleurs... Ça me surprendrait, étant donné son manque d'envie de faire son travail. La nature se débrouille très bien toute seul, n'est-ce pas ?"

Je me retournais alors d'une torsion lente du bassin. Une des yamas les plus influentes de Higan, Shikieiki Yamaxanadu, se tenait a quelques mètres, visiblement étonnée par ma présence. Tenant son spectre sacré fermement dans sa main, elle semblait également contrariée de ne pas voir le passeur a qui appartenait l'embarcation de bois. Il ne mieux valait pas déplaire à un yama, aussi, je decidais d'employer un langage plus poli et respectueux qu'a mon habitude, où je tutoyais humains et youkais sans me soucier de leur importance.

- Bonjour mademoiselle Kazami. Qu'est-ce qui vous amène si près des morts ? Vous ne comptez tout de même pas aller à Higan, n'est-ce-pas ?

- Bien sur que non. Je pense mieux me porter vivante que défunte, sauf si c'est vous qui me jugez, peut-être...

Je laissais échapper cete réponse avec un petit rire amusé. Elle se mit a regarder les fleurs autour de nous, et je fis alors tourner mon ombrelle en me rapprochant d'elle, dos aux reflets couchants du soleil.

- Je me demande si Komachi s'occupe de ces fleurs... Ça me surprendrait, étant donné son manque d'envie de faire son travail. La nature se débrouille très bien toute seule, n'est-ce pas ?

- Elle est ainsi faite et permet aux humains et aux youkais d'habiter cette terre qu'est Gensokyo. C'est a eux de la respecter, et de mon devoir de veiller là-dessus. Mais je ne pourrais pas toujours me rendre dans l'au-delà pour surveiller la santé de ces chrysanthèmes. En tout cas, je peux vous assurer que celles-ci sont resplendissantes, même dans leur mort.

Cette youkai avait une drôle de présence. On pouvait ressentir son humeur à une bonne distance. Actuellement, elle semblait de bonne humeur. Mais il valait mieux éviter de l'énerver... Ce n'était pas de la crainte, mais je n'avais pas besoin de ça en pause.

- Elle est ainsi faite et permet aux humains et aux youkais d'habiter cette terre qu'est Gensokyo. C'est a eux de la respecter, et de mon devoir de veiller là-dessus. Mais je ne pourrais pas toujours me rendre dans l'au-delà pour surveiller la santé de ces chrysanthèmes. En tout cas, je peux vous assurer que celles-ci sont resplendissantes, même dans leur mort.

Je souris légèrement. Elle n'avait pas vraiment à surveiller les fleurs d'un monde lui appartenant pas.

- On se doit de faire un effort pour les morts arrivant jusqu'ici. Il leur faut un répit avant de se rendre compte de ce qui leur arrive. Aussi, nous prenons soin des fleurs en Higan, pour faire patienter les âmes en attente de mon jugement. De toute façon, seules les morts peuvent aller de l'autre côté de la rivière.

Elle avait ce sourire donnant cette impression de malaise aux autres. Très confiante, peut-être trop. Mais elle n'était pas idiote pour autant, loin de là. Sa vieillesse était un grand facteur. Elle était assez imprévisible, du fait qu'il était impossible de savoir ce qu'elle pensait.

- Vous êtes juste venue jusqu'ici pour regarder si on prenait soin des fleurs ? Cela apaise l'âme des morts, on se doit d'y faire attention.

Elle avait peut-être une autre idée derrière la tête. Si elle était d'humeur à discuter, pourquoi pas.

Ayant fermé mes yeux, je réouvris mes paupières et fixa droit la yama de mes pupilles vermeilles.

- J'aime aller et venir au fil des floraisons. En temps que youkai des fleurs, j'effectue ma vocation comme bon semble la flore de Gensokyo de me l'indiquer. Excepté si cela vous importune, naturellement.

Cette yama employait un ton trop neutre, presque intimidant. Elle doit vraiment se faire respecter par ses subordonnées, si elle se comporte toujours ainsi. Cela me déplaisait, mais je cachais cette impression derrière un rictus assuré. Personne n'aimerait s'attirer les foudres d'une personne si hautement placée, aussi toisante soit-elle.

- Je ne saurais m'aventurer plus loin dans Higan, de toute façon, je ne pense pas avoir a faire dans ce domaine mortuaire. Les rives de Sanzu étaient une destination journalière parmi de nombreuses autres. Veuillez m'excuser si j'ai profané cet endroit.

Je fis une fois de plus tourner mon ombrelle, faisant face a l'astre couchant qui disparaissait peu a peu dans l'horizon. A la surface, le long de la rivière, quelques lampions s'allumèrent timidement, éclairant les chrysanthèmes et les nénuphars d'un doux halo orangé. A son tour, mon ombrelle s'illumina d'une lueur rosée, éclairant légèrement mon visage. Je me tournais ensuite vers la yama, m'approchant d'elle d'un pas lent.

- Je sais que parmi les fleurs se cachent parfois des âmes en peine ou épanouies. Je me posais la question autrefois en écoutant leurs doux balancement, mais je pense désormais que même les fleurs n'échappent pas a votre jugement.

Alors c'était une simple promenade, hein ? Le soleil commençait à se coucher, la rivière se "réveillait". La youkai me fixa puis s'approcha lentement de moi. Elle était plus grande que moi, ce qui était en soi pas bien compliqué. Elle faisait tourner son ombrelle, ce qui donnait un bel effet avec le soleil couchant. « Vu qu'elle est là, je me demande si elle est au courant à propos de se qu'il se passe en ce moment. »

- Au fait... Vous savez qu'il y a maintenant trois grandes religions à Gensokyo ? Il y a quelques tentions... Les têtes pensantes ne sont pas d'accord entre eux. Pour l'instant, il n'y a rien, mais si quelqu'un venait à provoquer une autre religion...

Il fallait à tout prix empêcher que cela ne dégénère. Personne ne pouvait en tirer profit, tout le monde allait y perdre quelque chose. Malheureusement, quand il y a une différence de point de vue, on se sentait obligé de l'imposer pour certains. Je penchai légèrement la tête et regardai dans le vide, pensive. Des mots s'échappèrent de ma bouche.

- Il faut que j'aille voir la prêtresse Hakurei pour parler des médiateurs, que l'on puisse commencer à en chercher.

Me rendant compte de ce que j'ai dit, je me remis droite et plaquai mon bâton des Remords sur la bouche. Avait-elle entendu ? « ... En fait, ce n'est peut-être pas plus mal. Elle pourrait se montrer persuasive, si elle est capable de parler au lieu de frapper. » Si j'arrivais à la gérer, elle pouvait être d'une grande aide.

Un large et fin sourire s'esquissa sur mes lèvres. Je savais que ce murmure n'était pas anodin, mais fit semblant de ne pas l'avoir entendu.

- Les affaires religieuses ne sont pas un domaine de prédilection pour moi. J'en entends parfois converser lorsque je suis a proximité d'un temple ou plus rarement a l'orée du Village des Humains. N'étant pas de mon ressort, je ne pense pas me sentir réellement impactée par l'essor d'une ou de l'autre religion. Je n'oeuvre qu'a l'expansion de la flore, vous devriez le savoir.

Elle plaqua son sceptre sur ses lèvres, l'air pensive. Ce sujet est naturellement une préoccupation de la plus grande importance pour elle. Si elle vient m'en parler dès a présent, c'est qu'un évènement s'y rapportant va probablement survenir. Tant que personne ne décime une partie entière des ressources naturelles de Gensokyo, je resterais hors de tout cela. Bien que je doute du fait qu'elle soit venue spécialement pour m'en prévenir.

Une expression opportuniste, naturellement inquiétante, passa quelques instants sur mon visage, puis je revins brèvement sur cette affaire de médiateur dont elle avait laissé sous-entendre la possibilité. Si elle pensait que je ne l'avais pas entendue c'est un tort.

- Toutefois, contrairement a ce qui est dit a mon sujet, je sais faire preuve d'une grande éloquence, et ne porte pas toujours atteinte aux humains et aux youkais a la moindre fleur piétinée.

Elle avait bel et bien entendu, de plus, elle semblait plus ou moins intéressée. Elle avait eu un drôle de regard pendant un court instant. Cela dit, elle ne pensait qu'aux fleurs, et elle n'allait pas agir si elles n'étaient pas en danger. Mais dans le cas où ça arrive, elle ne répondait plus tellement d'elle-même, et devenait par conséquent incontrôlable... Mais sa neutralité est un atout non-négligeable... Je fermai les yeux. « De toute façon, nous verrons bien... »

- J'espère que vous dites vrai.

J'ouvris l'oeil droit.

- Il se pourrait que dans le futur, on vous demande de l'aide. Libre à vous d'y répondre, bien évidemment. Mais si vous tenez à Gensokyo, il vaudrait mieux pour vous de réagir. Pas avec la force, ça ne ferait qu'aggraver les choses, mais avec les mots.

J'évitais de poser l'argument de la flore, risquant de la provoquer pour rien. On n'avait pas encore décidé de ce qu'on faisait avec la prêtresse Hakurei pour recruter des médiateurs, mais autant mettre au courant les personnes dont ça peut intéresser. Si cela tournait en guerre, il n'y avait pas que les youkai et les humains qui allaient être en danger... J'ouvris l'autre oeil.

- Les mots peuvent être de puissantes armes, utilisés comme il faut. En revanche, je vous préviens, si vous acceptez de nous aider, il va falloir respecter nos règles. Si je peux vous conseiller une chose, ce serait de vous renseigner un peu, histoire de savoir à qui on aura à faire.

Je me tournai sur la gauche et contemplai les fleurs. Sans doute le meilleur moment de la journée pour les regarder. Elle venait au bon moment.

L'affaire semblait suffisamment sérieuse pour qu'elle en vienne a me proposer d'offrir mon aide pour calmer le conflit. D'un ton solennel, elle expliqua le contexte et les conditions de ce problème. Elle prenait le temps de choisir ses mots afin de ne rien omettre.

- Les mots peuvent être de puissantes armes, utilisés comme il faut. En revanche, je vous préviens, si vous acceptez de nous aider, il va falloir respecter nos règles. Si je peux vous conseiller une chose, ce serait de vous renseigner un peu, histoire de savoir à qui on aura à faire.

Cette dernière suggestion, qui s'apparentait davantage a un ordre implicite, me fit légèrement sourire. Après tout, je parcoure Gensokyo chaque jour, cela ne devrait pas me poser problème. Remplir le rôle qu'elle souhaitait m'assigner me permettrais de ne pas déroger a mes occupations. Voilà qui sera fait. Je me tournais en même temps qu'elle vers les chrysanthèmes, qui resplendissaient a cette heure-ci. Les lueurs des lampions embellissaient leur teinte écarlate, y ajoutant quelques subtiles nuances rosées. Ce spectacle était incroyable. Je me demandais si beaucoup de personnes y avaient accès hormis les passeurs et les âmes.

Je ne pouvais lui en vouloir de se fier aux on-dit qui tourne a mon sujet. Mais, je ne suis pas si méchante que j'en ai l'air. Il est vrai que je suis intransigeante en ce qui concerne la protection de la flore, mais il me plait de temps a autre de converser avec les youkais et les fées qui traversent le Jardin du Soleil. Et puis, je ne suis pas insensible aux compliments, huhuhu~

Mais, il est vrai que si j'acquiers cette place de "médiateur", cette position me sera tout a fait bénéfique : elle me permettra toujours d'oeuvrer au develloppement floral de Gensokyo, de veiller sur la progression des concepts religieux, et de donner une image plus importante et plus glorieuse de ma personne. Toutefois, on pourrait se demander comment est-ce que je me suis ainsi rabaissée a une telle tache, moi qui suis connue pour faire fleurir le monde, semer la bonne récolte et dévorer les humains pour mon quatre-heure (je ne confirme pas cette dernière rumeur). C'est certain, ma réputation va en prendre un coup. Peu importe. Je soupirais en mon for interieur.

Mon ombrelle s'arreta de tourner.

Un bruissement a travers les fleurs m'indiqua qu'une personne traversait les environs pour nous rejoindre. J'aperçu au loin une grande faux : probablement le passeur auquel appartenait la barque, dont la Yama me parlait en début de notre entretien. Je me hâtais alors de clore notre discussion en donnant un ultime avis.

- C'est entendu. J'accepte vos conditions. Cela n'entravant pas ma vocation, je ne vois pas comment refuser d'améliorer la conditions des êtres habitant Gensokyo, en étant moi-même une. Et puis, il n'est jamais trop tard pour se défaire d'une mauvaise rumeur que d'autres ont de nous. Votre offre m'est toute bénéfique, je ne vois pas comment la refuser ♥

En prenant un ton confiant et assuré, je lui faisais comprendre que j'étais prête a lui offrir mon aide, mais qu'elle garde également a l'esprit que j'ai une certaine indépendance, et que je serais donc impartiale si l'on me demandait d'avantager un camp ou un autre.

Je m'apprêtais a quitter les lieux, marchant quelques pas derrière elle pour rejoindre le Chemin de l'Au-Delà, quand un dernier détail me fit arrêter.

- Oh, une dernière chose. Une plante abimée volontairement restera pour moi un acte impardonnable. Je vous souhaite une bonne fin de journée.

J'en profitais pour faire fleurir entre ses mains un ensemble de fleurs de giroflée, lui faisant ainsi signifier qu'elle me plait bien, et qu'elle saura compter sur moi le moment venu. Il était temps pour moi d'agir avec conséquence.

Elle semblait réfléchir longuement à ce que je venais de lui dire. Elle devait envisager d'accepter, ce qui n'était pas une mauvaise chose. Sa présence, sa réputation, pouvaient calmer n'importe qui, et personne n'osait l'importuner. De toute façon, le fou qui tentait de la provoquer disparaissait dans la seconde.

- C'est entendu. J'accepte vos conditions. Cela n'entravant pas ma vocation, je ne vois pas comment refuser d'améliorer la conditions des êtres habitant Gensokyo, en étant moi-même une. Et puis, il n'est jamais trop tard pour se défaire d'une mauvaise rumeur que d'autres ont de nous. Votre offre m'est toute bénéfique, je ne vois pas comment la refuser ♥

Eh bien... Il fallait que j'aille prévenir Reimu à propos de ça. Elle risquait de grimacer, mais il fallait qu'elle accepte. Pour moi, la youkai avait toutes ses chances. Cependant, je me devais de lui préciser un détail. J'entendis un léger bruissement, quelqu'un arrivait. Si c'était Komachi, elle allait y passer...

- Oh, une dernière chose. Une plante abimée volontairement restera pour moi un acte impardonnable. Je vous souhaite une bonne fin de journée.

Des fleurs apparurent dans mes mains. Sans doute sa façon de montrer qu'elle m'aimait bien ? Je secouai la tête avant qu'elle ne soit trop :

- Vous allez devoir prouver que vous pouvez endosser ce rôle ! Ça ne dépend pas uniquement de moi ! Je vous souhaite à vous aussi une bonne journée ! ... Ah ! Et merci pour les fleurs !

Je contemplai les fleurs. Elles sentaient bon...
Progressivement, tout se mettait en place. Si Reimu prévenait les personnes qui, selon elle, étaient capables d'être des médiateurs elle aussi, nous pouvions nous en sortir. « Ah... Avec tout ça, ma pause est terminée... » Cela étant, j'avais su en profiter quand même. Il était temps pour moi de reprendre le travail. Première chose en rentrant, trouver un vase pour les fleurs.