Une rencontre pluvieuse [Naki no Seiba - Jade]

Mon sceptre à la main, mon livre sous le bras, je me dirigeais, seule, vers le village des humains de Gensôkyô. Je ne savais pas ce qui m'y attendais, et j'espérais vivement trouver quelqu'un qui puisse m'héberger. Le soir arrivait à grands pas, et ma fatigue se manifestait.

Je me rendis compte avec surprise que les nuages se rassemblaient dans le ciel, formant un dôme épais que le soleil ne pouvait traverser. Allons bon ! La pluie s'annonçait, et j'étais seule, sans abris. Je reprenais ma marche, plus rapide cette fois, en direction des maisons.

J'entendais déjà l'orage gronder au loin, tel le bruit d'une vague immense qui allait tout avaler sur son passage. C'était effrayant. Le ciel noir et menaçant semblait sur le point d'exploser. Cette pensée vint accueillir les premières gouttes, qui tombèrent sur mon visage inquiet. Le sol était tacheté, et le chemin allait vite devenir boueux. Il fallait que je me dépêche.

J'espérais trouver près d'ici quelque refuge simple qui puisse m'accueillir et me protéger de l'averse, mais rien, pas une grotte, pas un toit acceptable ne se trouvait aux alentours. Presque désespérée, je me mettais à courir malgré moi. Je savais que cela était inutile, la pluie s'était déjà bien intensifiée, et j'étais trempée jusqu'aux os.

J'arrivais au village et, tournant la tête dans tous les sens, cherchais une maison à laquelle sonner. Mais, parcourant les rues, j'aperçus un bâtiment qui avait l'air plus animé que les autres, et, regardant plus attentivement, je compris que c'était un restaurant. Voilà qui tombait bien, j'avais aussi faim que j'étais trempée.

Je me précipitais vers la porte et l'ouvrais, me réfugiant dans la chaleur accueillante et réconfortante d'un endroit qui semblait sympathique. Toute dégoulinante à cause de la pluie, je reprenais mon souffle après cette course sous le déluge qui, à en croire le bruit, ne tarissait pas. Soudain, le grondement de l'orage se fit intense et parut se trouver juste au dessus de nous.

J'avais plongé mon regard dans les flammes, tout en prêtant une oreille attentive en attendant la réponse de la jeune femme. Elle ne mit pas longtemps à répondre, plongeant ses yeux dans les miens.

«Moi? Mon nom n'a aucune importance. Appelle moi seulement Naki, Naki no Seiba si tu veux mon nom complet. Bon, j'ai une bourse pleine d'argent qui ne demande qu'à se vider et toi, j'ai entendue ton estomac, de quoi as-tu envie ?»

Il était vrai que mon ventre avait la fâcheuse manie de faire beaucoup de bruit lorsque j'avais faim, cela ne m'étonnait qu'à moitié qu'elle m'eut posé la question. Néanmoins, je rougissais et répondais doucement :

«J'aimerais manger de la viande, cela fait longtemps que…»

Je m'interrompis, surprise de voir que Naki avait mon livre de formules en main. Elle dût s'apercevoir de mon étonnement, et, dans un sourire plutôt effrayant, elle me dit d'une voix qui me fit trembler malgré le feu.

«Tu pourrais aussi me parler de ça, j'aime bien connaitre les gens que j'invite à ma table.»

je restais deux bonnes minutes sans rien dire, interdite. Puis, me secouant mentalement, je posais mes yeux sur mon livre pour éviter son regard, et répondais d'une voix pleine de méfiance :

«Ce livre est à moi, il m'est très précieux. Je vous prie de me le rendre s'il vous plait.»

je perdis toute contenance en me rendant compte de quelle impolitesse j'avais fait preuve envers celle qui m'avait accueillie gentiment. Je tentais de me rattraper du mieux que je le pouvais :

«Je suis désolée, je ne voulais pas vous manquer de respect… je ne connais pas ce monde, alors je suis un peu nerveuse par moments.»

Je tenais encore mon sceptre, le serrant un peu plus fort pour me rassurer tandis qu'il semblait dormir, son œil étant fermé. Je me redressais un peu et donnais quelques éléments de mon histoire, sans toute fois en dire trop.

«Je viens du monde extérieur à celui-ci, et je ne sais pas comment est-ce que j'ai pu atterrir ici. Toujours est-il que je n'ai aucune solution pour rentrer chez moi. De plus, ne connaissant pas les environs, je ne sais pas si ma magie sera assez puissante pour me défendre.»

Je me rappelais ma venue ici. Le papillon, puis plus rien. D'ailleurs, le petit insecte était flou dans mon esprit, alors que je me souvenais du moindre détail le concernant il y avait encore quelques heures. La fatigue sûrement. Je réprimais violemment un bâillement et me frottais les yeux. Je me languissais de trouver un endroit où dormir.

Mes excuses sonnaient faux à mes oreilles. Quelle sensation désagréable ! Mais Naki me répondit calmement :

«Naturel, franchement je pense que tout le monde aurait réagit comme ça à ta place, tu n'as pas à t'en faire, je suis même sûre que tu en as vachement du sang froid pour quelqu'un en pleine découverte. J’apprécie ton genre de personne.»

Je rougissais, soulagée que la demoiselle ne se soit pas mise en colère. Ne portant plus un mot sur cet écart, je commençais à lui parler de mon arrivée ici. De plus, je lui fis part de mon inquiétude quand à ma défense dans ce monde. Je n'étais pas bien sûre de faire long feu ici. Mais une fois de plus, elle apporta une réponse quelque peu rassurante :

«Bon, pour tes pouvoirs, je sais pas, franchement, faudrait une démonstration pour que je puisse constater par moi même. T'as quand même l'air jeune alors je vais être franche avec toi, trouve toi un protecteur efficace et un tuteur, parce que je peux te dire que j'ai bien croisé le regard de la mort plusieurs fois à cause de mon métier à risques -faut dire que j'ai pas de réels pouvoirs- mais si tu trouves quelqu'un comme la miko de Hakurei pour te porter assistance, tu couleras sans doute une douce et longue vie.»

Un frisson me parcourut l'échine, tant sa voix exprimait le danger qu'elle avait connu. Nos yeux étaient accrochés, il me fallut un moment et beaucoup de concentration pour détourner mon regard du sien.

«Je vois…» murmurais-je.

Elle reprit aussitôt :

«Ah au fait, je vais être très honnête avec toi... la barrière de Hakurei a beau être une passoire de l'extérieur presque tout ce qui y pénètre n'en ressort jamais.»

Mon cœur semblait ne plus vouloir battre. Un bourdonnement entêtant résonnait à mes oreilles, et Naki, se désintéressant un instant de la conversation, lança :

«Allez, c'est quoi déjà que tu voulais manger ?»


Avait-elle vraiment cru que j'avais en tête de manger après ce qu'elle venait de m'annoncer ? C'était impossible. Il y avait forcément un moyen. Si j'étais entrée dans ce monde, je pouvais en ressortir. Je refusais d'admettre que j'étais bloquée ici pour toujours, ce n'était pas possible.

Quelques larmes coulèrent sur mes joues, mes sanglots restaient au fond de ma gorge. Mon sceptre, réceptif à mes états d'âme, semblait s'agiter dans mes mains, comme si la panique le gagnait lui aussi.

Je m'excusais un fois encore. Naki me répondit doucement, je levais les yeux vers elle :

«Non c'est pas ça, c'est simplement que c'était… inattendu. C'est bien la première fois que quelqu'un d'inconnu m'adresse ainsi la parole. Comme une personne normale s'entend. Soit on me voit comme un monstre qui ne vit que pour tuer humains et yôkais soit comme une héroïne fantastique. Je tiens à dire que c'est généralement les enfants qui optent pour la deuxième option. Jamais je n'ai eu le même traitement que n'importe qui et, vois-tu, ça m'a agréablement surprise.»

Elle avait rit en parlant, cela m'avait un peu détendue. Elle poussa un soupire et me regarda encore.

«T'as l'air fatiguée… manges un peu quand même et je t'invite à dormir ici, elle est de bonne qualité cette auberge et je suis sûre que tu dormirais jusque sur le sol vu ton état.»

Je mis un certain temps à réagir, puis je répondis dans un large sourire :

«Merci beaucoup !»

Maintenant qu'elle paraissait plus joyeuse, je l'étais moi-même. Nous commandâmes à manger et pendant que je prenais une bouchée, je la détaillais discrètement. Ses cicatrices étaient si nombreuses, que même si l'on ne les comptait que sur son visage, il était impossible de toutes les dénombrer. C'était impressionnant.

Alors que nous finissions de manger, une personne dans la salle s'exclama :

«Oh ! Il ne pleut plus, nous allons pouvoir sortir.»

Je tournais vivement mon regard vers la fenêtre. C'était vrai, les seules gouttes qui tombaient provenaient des gouttières. Le ciel n'était pas dégagé, mais l'arrête de la pluie était un bon signe. Je fis un grand sourire à ma camarade de table.

À ma grande surprise, je m'endormis assez vite. Je pensais que l'anxiété et le poids du choix que je devais faire allaient m'empêcher de fermer les yeux, mais Morphée m'emporta sans mal au pays des rêves. Mon sommeil fut lourd et un rêve étrange se joua dans ma tête. Je me trouvais avec Naki dans mon monde, en présence de tous mes amis. La jeune femme brandissait son sabre et l'abattait sur le peuple qui, en une fraction de seconde, était décimé. Alors que je contemplais les corps sans vie, j'apercevais deux dépouilles floues, qui se tenaient la main. Le sang les recouvrait entièrement, mais je distinguais autre chose. Une lettre. Je hurlais mais ma voix ne résonnait pas. Alors, avec rage, je me tournais vers le ''démon'' comme me le soufflait mon esprit.

Nos yeux se croisèrent à ce moment-là, et les siens n'avaient plus rien d'humain. Elle était une bête assoiffée de sang et de meurtre. Je me réveillais en sursaut, le souffle court, et une sueur froide me parcourut l'échine, me faisant frémir un instant. Je tentais de me souvenir où est-ce que j'étais. Je fermais les yeux, non sans crainte, pour me remémorer les derniers événements. Le sanctuaire, la prêtresse, puis le village, et Naki. J'ouvrais soudainement les yeux, cherchant la jeune femme désespérément.

Je me levais doucement, prenais mon sceptre et descendais. La salle était un peu animée, et j'y trouvais Naki, assise à la même table que la veille. Je l'y rejoins et parlais d'une voix douce, sans laisser paraître mon malaise envers elle.

«Bonjour.» dis-je simplement.

Je m'asseyais en face d'elle. Le petit déjeuner était un régal, on mangea sans parler. Puis, ayant fini, je décidais de parler la première, toujours de manière neutre.

«J'ai fait mon choix. Je pense que vous êtes la meilleure personne qui puisse m'apprendre les rudiments du combat dans ce monde. Je m'entraînais déjà beaucoup avant, alors je pense pouvoir me défendre un minimum, mais je ne sais rien d'ici, de la magie qu'on y pratique, des règles de combat s'il y en a. Et vous êtes la meilleure personne qui puisse m'apprendre tout cela. Alors si cela ne vous dérange pas… j'aimerais vous suivre s'il vous plaît !»

Je la regardais un instant puis me concentrais sur la cheminée. L'aventure allait commencer, et je devais m'y préparer en conséquence. J'attendais sa réponse. Après tout, c'était à elle d'accepter ou de refuser, je serai sans doute un poids pour elle, ce qui lui donnait parfaitement le droit de refuser ma compagnie. Je me sentais tout à coup comme gonflée de lui demander un tel service. Je me ratatinais sur ma chaise, soudainement très anxieuse. Il fallait qu'elle me donne sa réponse, impatiente comme j'étais, mais d'un autre côté, je ne voulais pas l'entendre, j'avais trop peur.